Délivrez-nous du bien, de Joan Samson

Il y a des romans qui vous happent dès les premières pages et ne vous lâchent quasiment plus jusqu'à la fin. Après plusieurs revers de lecture assez frustrants, Délivrez-nous du bien, de Joan Samson, fait pour moi partie de cette catégorie. Publié en 1976 aux Etats-Unis, ce premier et unique roman de l'autrice américaine (tragiquement décédée d'un cancer quelques semaines après sa parution, à seulement 38 ans) mérite amplement sa réputation de classique méconnu du suspense psychologique.

L'histoire nous plonge dans la vie de la famille Moore – John, son épouse Mim, leur fille Hildie et Ma, sa mère au caractère bien trempé – qui vivent de leur ferme dans la paisible petite ville de Harlowe, dans le New Hampshire, non loin de Boston. Des personnages que Joan Samson parvient d’emblée à rendre profondément attachants. John, fermier attaché à sa terre, Miriam, épouse sensible et attentive, la jeune Hildie et l'irascible Ma forment un noyau touchant. On comprend vite leurs aspirations, leurs valeurs, leur attachement à leur terre et à leur mode de vie simple et authentique.

Et c'est précisément cette proximité avec la famille Moore qui rend cette lecture si addictive. Lorsque Dunsmore fait son apparition et commence à organiser des ventes aux enchères sous prétexte de renflouer les caisses de la police, les premiers signes d'étrangeté apparaissent dans cette communauté en apparence idyllique. On ressent alors viscéralement le trouble qui s'installe. La tension monte de manière progressive, presque imperceptiblement au début – une demande d'objet, puis une autre, de plus en plus pressante – avant de se transformer en véritable oppression psychologique. L’autrice maîtrise l'art du crescendo, distillant le malaise goutte à goutte, jusqu'à ce que l'atmosphère devienne irrespirable.

La comparaison avec Stephen King s'impose naturellement : on retrouve ici le même talent pour dépeindre les dynamiques perverses d'une communauté fermée, cette même capacité à faire surgir l'horreur du quotidien le plus banal. Comme dans certains romans de King situés dans des petites villes de Nouvelle-Angleterre, c'est la normalité apparente qui se révèle être le terreau de la violence. La construction narrative est parfaite, chaque élément étant posé là avec soin, chaque personnage secondaire contribuant à l'édifice global. Le piège se referme sur les Moore, lentement mais sûrement, et on assiste avec impuissance à leur dépossession.

Délivrez-nous du bien est une lecture aussi éprouvante que fascinante, un texte qui interroge, porté par des héros profondément humains et une belle maîtrise narrative. Malgré un final un peu rapide, je le recommande chaleureusement à tous les amateurs de suspense psychologique.

Note : 

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Délivrez-nous du bien, de Joan Samson
Monsieur Toussaint Louverture (2024) - 300 pages - Support papier - Fantastique & Horreur

Harlowe, petite ville rurale du New Hampshire non loin de Boston, est un coin tranquille où tout le monde se connaît et où chacun a sa place : Fanny, avec sa voix insipide et son regard vide, est juchée sur son perchoir derrière le comptoir du magasin d’alimentation générale ; John passe la niveleuse ou le chasse-neige, au choix, lorsque la commune le lui demande ; la femme pasteur prononce son sermon tous les premiers dimanches du mois.
Mais cet ordre paisible est petit à petit amené à changer à compter du jour où Perly Dunsmore fait son apparition. Ce commissaire-priseur au charme indéniable, globe-trotter averti, raffiné, poli et instruit, atterrit sans qu’on sache trop pourquoi à Harlowe où, avec l’aide du chef de la police locale, Bob Gore, il commence à organiser des ventes aux enchères dans le but d’améliorer la sécurité et de faire prospérer la petite communauté. Les habitants jouent plus ou moins le jeu, et font don de choses et d’autres remisées à la grange, à la cave ou au grenier, et dont ils n’ont plus vraiment l’utilité.
Puis, lorsque les demandes se font de plus en plus pressantes et que les refus sont poliment écartés, les choses commencent peu à peu à déraper. Que souhaite réellement ce Perly Dunsmore, qui se présente comme le sauveur désintéressé de ce petit bout de campagne qui n’a pourtant lancé aucun appel à l’aide ? Et jusqu’où est-il prêt à aller pour l’obtenir ?
Roman sur les rouages infernaux de la dépossession des plus pauvres et des menaces des forces de l’ordre, cette fiction à mi-chemin entre le thriller, le nature writing et le grand roman américain est un conte sensible et terrifiant sur la perte d’identité et le vol des âmes, l’effondrement de la morale face à la loi des marchés et la peur de ceux qui ne possèdent rien ou très peu, qui les conduisent à une forme déroutante de soumission. Et, ultimement, il pose au lecteur l’essentielle mais angoissante question : jusqu’où, exactement, peut-on céder ?

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