À l'ombre de Winnicott, de L. Manchette et C. Niemiec

Après le remarqué Alabama 1963 qui leur a valu une quinzaine de prix littéraires, Ludovic Manchette et Christian Niemiec nous emmènent cette fois dans la campagne anglaise des années 1930 avec À l'ombre de Winnicott. Un manoir au cœur du Sussex, une préceptrice française et son jeune élève aveugle, des phénomènes étranges : tous les ingrédients du récit gothique semblent réunis. Pourtant, ce troisième roman du duo surprend par sa retenue et sa sensibilité.

L'histoire nous transporte à Winnicott Hall en 1934, avec Archie, Lucille et leur petit garçon George. Viviane, la nouvelle gouvernante française, découvre cette demeure familiale où règne une atmosphère feutrée, typiquement britannique. Les auteurs excellent à recréer l’ambiance aristocratique de l'entre-deux-guerres, avec ses codes sociaux, ses non-dits et cette politesse de façade qui cache tant de secrets. Comme la série Downton Abbey, le roman est empreint de cette nostalgie d'un monde en mutation.

George, cet enfant aveugle aux prises avec les fantômes, constitue indéniablement le cœur battant du récit. Un enfant gentil et intelligent, atteint de cécité, qui accueille sa nouvelle préceptrice avec une maturité touchante. Les auteurs le rendent attachant sans verser dans le pathos, évitant l’écueil du personnage handicapé utilisé comme ressort dramatique. Avec sa condition d’étrangère et son regard extérieur, Viviane offre un contrepoint intéressant dans ce microcosme anglais. Les parents, Archie et Lucille, bien que moins développés, ne tombent pas dans la caricature de l'aristocratie décadente et conservent une humanité convaincante.

L'ensemble des personnages secondaires contribue à créer cette atmosphère de huis clos familial où chacun porte ses secrets. Si leurs psychologies ne sont pas toujours approfondies, ils servent efficacement l'ambiance générale du récit. Les touches fantastiques demeurent très légères. Winnicott Hall serait-il hanté ? Plutôt que de multiplier les effets surnaturels, les auteurs privilégient l'ambiguïté et la suggestion. Cette retenue peut décevoir les amateurs de fantastique pur, mais elle sert remarquablement bien l'atmosphère gothique du récit.

L'intrigue reste relativement simple. Pas de révélations fracassantes ni de rebondissements multiples. Pourtant, cette simplicité apparente ne nuit pas à l'intérêt du récit. C'est davantage dans l'atmosphère, les relations entre personnages et la qualité d'écriture que réside la force du roman. Et au-delà de son habillage gothique, À l'ombre de Winnicott porte un message profondément humain. Un roman qui mise sur la subtilité plutôt que sur l'efficacité, et qui gagne à être lu avec la patience qu'il mérite.

Note : 

Plus d'informations

À l'ombre de Winnicott, de Ludovic Manchette et Christian Niemiec
Le Cherche Midi (2024) - 504 pages - Support numérique - Fantastique & Horreur

Sussex, Angleterre, 1934. Alors qu'ils viennent d'emménager dans le manoir de Winnicott Hall, Archibald et Lucille Montgomery confient à Viviane Lombard, une Française à l'attitude et au franc-parler peu ordinaires, l'éducation de George, leur jeune fils aveugle. Tandis que la préceptrice et l'enfant apprennent à s'apprivoiser, un doute s'instille peu à peu chez eux comme chez tous les habitants de la vaste demeure, maîtres des lieux et personnel confondus : une présence invisible ne rôderait-elle pas entre les murs de la vieille bâtisse ?

Le site des auteurs : https://www.manchette-niemiec.fr/

0 commentaires