Babel, de Rebecca F. Kuang

Quand Oxford devient le cœur d’un empire magique… Avec Babel, Rebecca F. Kuang propose une critique évocatrice du colonialisme dans l'Oxford victorien de 1828. Une œuvre pour le moins ambitieuse, mélange de fantasy universitaire et de réflexion politique.

L'histoire suit Robin Swift, jeune orphelin de Canton emmené en Angleterre par le professeur Lovell. Rebaptisé avec un nom bien britannique, Robin est destiné à intégrer le prestigieux Institut royal de traduction d'Oxford, surnommé Babel. Car, dans cet univers alternatif, les étudiants y exploitent le sens perdu des mots à l'aide de barres d'argent enchantées.

L’argentogravure est un concept plutôt séduisant : la magie naît de la traduction, de toutes les nuances perdues entre les langues, et ces subtilités linguistiques deviennent littéralement la source de pouvoir de l'Empire et lui confèrent sa domination mondiale. Robin, maîtrisant le chinois et l'anglais, représente un véritable atout pour Babel, mais quand il découvre à quel point cette magie sert les desseins colonialistes britanniques, le jeune homme doit choisir son camp.

Robin est un protagoniste complexe, tiraillé entre reconnaissance envers ceux qui l'ont sauvé et prise de conscience progressive de son instrumentalisation. Son parcours, de l'orphelin perdu à l'étudiant brillant puis au révolutionnaire malgré lui, se dessine avec une psychologie fine qui nous attache à lui. Avec ses camarades, Ramy, Victoire et Letty, ils forment un quatuor d'étudiants dont les relations, d'abord complices, évoluent vers des questionnements plus sombres sur leur rôle dans la machine impériale. Kuang excelle à montrer comment l'amitié peut se fissurer sous le poids de convictions politiques divergentes.

Je dois bien avouer que le système de magie m’a été, par moments, difficile à cerner. L’autrice nous explique le principe, mais les applications concrètes demeurent parfois obscures. Cela dit, malgré quelques longueurs - on sent combien Rebecca F. Kuang est passionnée par son sujet -, son style permet d'aborder des thématiques complexes sans pesanteur excessive. Elle alterne des passages d'action, des développements théoriques sur la traduction, des moments d'introspection de ses personnages et la montée en tension vers le final rattrape les passages un peu plus laborieux.

Babel réussit donc son pari : proposer une fantasy intelligente qui interroge les fondements du colonialisme sans tomber dans le didactisme pur. En déplaçant la réflexion dans un Oxford fantasmé, Kuang explore sans détour les mécanismes d'oppression culturelle et économique qui ont structuré l'empire britannique. Un roman à la fois divertissant et édifiant, qui confirme le talent de son autrice et donne envie d’en lire davantage.

Note : 

Plus d'informations

Babel, de Rebecca F. Kuang
De Saxus (2023) - 768 pages - Support numérique - Fantasy

1828. Un jeune orphelin chinois est recueilli à Canton par un professeur et conduit à Londres. Rebaptisé Robin Swift, le jeune garçon consacre ses journées à l’étude des langues dans l’optique d’intégrer le prestigieux Institut royal de traduction de l’Université d’Oxford, plus connu sous le nom de Babel. Berceau de l’argentogravure, les étudiants y exploitent le sens perdu des mots à l’aide de barres d’argent enchantées. Dès ses premiers jours à Oxford, Robin prend conscience que ces travaux confèrent à l’Empire britannique une puissance inégalée et servent sa soif de colonisation, au détriment des classes défavorisées de la société et de ses territoires. Servir Babel revient donc à trahir sa patrie d’origine. Peut-il espérer changer Babel de l’intérieur ? Ou devra-t-il sacrifier ses rêves pour faire tomber cette institution ?

2 commentaires

  1. Déjà que la traduction et le colonialisme ne sont pas des sujets très communs, alors ensemble ça sonne forcément assez unique. J'espère juste que je passerai aussi bien que toi à travers les petits bémols.

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